Claude Gizelo critique les pratiques douteuses dans l’industrie du camionnage. De plus en plus de chefs d’entreprise prennent publiquement position pour dénoncer le stratagème des chauffeurs incorporés, qui menace de fragiliser l’industrie du transport routier au Canada.
Ce fléau est pointé du doigt par les principaux transporteurs, ceux qui ont à cœur de valoriser le camionnage et d’offrir les meilleures conditions de travail à leurs employés. Ces entreprises, soucieuses de l’équité, se voient contraintes de rivaliser avec des concurrents qui cherchent uniquement à tirer profit d’un système sur lequel le gouvernement continue de fermer les yeux. Et pour couronner le tout, la famille fondatrice de Pride vient tout juste de racheter l’entreprise…
Pride Group Logistics, une entreprise de transport bien établie, a été mise sous protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) en raison de ses dettes importantes, qui s’élevaient à environ 1,6 milliard de dollars. Ce processus permet à une entreprise en difficulté de se restructurer ou de vendre ses actifs tout en étant protégée de ses créanciers. C’est dans ce contexte que la famille fondatrice de Pride, Johal, a racheté l’entreprise pour un montant de 56 millions de dollars, bien en dessous de sa valeur initiale.
« Ce n’est pas acceptable. Ce n’est pas le principe de faillite qui me dérange, mais l’achat de faillite, elle doit aller sur le marché comme du monde, il doit y avoir une option pour que les gens puissent miser dessus… » dénonce Claude Gizelo, propriétaire de Prince Services Logistiques sur les ondes de Truck Stop Québec. « En plus, ils savaient qu’il y avait une fraude. C’est surprenant, comment tu peux acheter une fraude, dans une fraude, et tu ne rentres pas en prison… De plus en plus, je pense que c’est ça la démocratie. »
Le rachat par la famille Johal a suscité de vives critiques au sein de l’industrie, notamment de la part de concurrents et de créanciers. Ils ont estimé que la vente à si bas prix ne reflétait pas la véritable valeur de l’entreprise, et certains ont accusé ce rachat d’être le résultat d’une gestion douteuse, voire frauduleuse.
Selon Claude Gizelo, plusieurs compagnies auraient pu se partager cette faillite. Il estime que si on lui avait offert la compagnie pour 60 millions, il l’aurait achetée sans hésiter, en payant immédiatement et sans même financer l’achat. Pour lui, c’est là que réside le problème, quelqu’un a profité financièrement de la situation. Cependant, la cour a jugé que c’était la meilleure option pour éviter une liquidation complète de Pride et la perte de nombreux emplois.
« J’ai plus d’employés dans ma compagnie sur le payroll que Pride. Alors, ils ne peuvent pas me dire qu’ils voulaient sauver des employés… Quels employés? Les incorporés, c’est ça que tu voulais sauver? Ça n’a pas de bon sens », ajoute le propriétaire de Prince.
Le recours aux chauffeurs incorporés
Le recours aux chauffeurs incorporés permet aux entreprises d’embaucher des conducteurs en tant que sous-traitants indépendants, plutôt que comme employés réguliers. Cette pratique permet aux transporteurs d’éviter certaines charges sociales et de réduire les coûts de main-d’œuvre, mais elle suscite de nombreuses critiques. En effet, bien qu’elle offre plus de flexibilité aux entreprises, elle soulève aussi des questions d’équité, en contournant certaines obligations fiscales et légales, ce qui fragilise encore davantage l’industrie du transport routier.
Claude Gizelo admet qu’il ne rejette pas totalement le modèle des chauffeurs incorporés, ayant lui-même eu recours à ce type d’employés il y a quelques années. « Je ne blâme pas les incorporations à 100% non plus », dit-il, expliquant que le marché l’avait forcé à adopter cette pratique. Cependant, il a rapidement réalisé que bien que ces chauffeurs soient mieux payés que ceux sur son payroll, ils ne contribuaient pas de manière adéquate aux impôts. Pour Claude, c’est là que se trouve le véritable problème : « S’ils payaient leurs taxes comme du monde, il n’y aurait pas de problème! » affirme-t-il. Face à cette situation, il a pris la décision de ne plus engager de chauffeurs incorporés.
Le défi auquel sont maintenant confrontées de nombreuses entreprises de transport est que de plus en plus de camionneurs choisissent de s’incorporer pour éviter certaines responsabilités fiscales et maximiser leurs gains. Cette pratique, autrefois perçue comme un problème principalement en Ontario, s’étend désormais à d’autres provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique. « J’ai le même problème à Montréal », explique Claude, soulignant que certains de ses employés ont quitté son entreprise pour travailler comme chauffeurs incorporés ailleurs.
Pour Claude Gizelo, il existe une forme encore plus hypocrite d’exploiter le système : engager des owner-operators qui possèdent plusieurs camions et embauchent des chauffeurs incorporés. Cela pose un risque encore plus important, car les entreprises qui sous-traitent à ces propriétaires n’ont aucun contrôle sur les chauffeurs embauchés, ni sur les vérifications de sécurité, telles que les tests de dépistage de drogues ou les vérifications d’antécédents criminels. Selon Claude, cette absence de supervision rend la situation encore plus dangereuse que d’engager directement des chauffeurs incorporés.
« Si le marché continue comme ça et que le gouvernement n’embarque pas dans cette histoire pour couper ça, je vais retourner en arrière et engager des chauffeurs incorporés, pourquoi pas? Au lieu d’engager un gars qui a dix camions, et que je n’ai aucun contrôle sur ses employés, pas de drug test, pas de criminal search… C’est encore plus dangereux. »